Histoire du paysage flayatois

Le reboisement.

Au début du XXe siècle, le plateau de Millevaches est quasiment dénué de forêts. Déboisé, nu, recouvert d’un unique manteau de bruyère, les arbres y sont des oiseaux rares. Les quelques oasis de verdure se trouvent aux abords des hameaux. La couverture forestière n’ayant cessé de reculer depuis le Moyen Âge, elle continue à se réduire tout au long du XIXe siècle. En 1904, la surface boisée du plateau de Millevaches représente 5% de sa superficie.

De la fin du Moyen Âge jusqu’à l’aube du XXe siècle, les paysans de Millevaches associèrent une céréaliculture de maigre subsistance à l’utilisation pastorale des vastes landes communales. L’équilibre de cette paysannerie pauvre mais prolifique repose sur l’élevage extensif du mouton et sur l’émigration saisonnière pour aller s’employer au loin comme maçons, cochers ou scieurs de long.


Ce qu’il faut bien appeler l’obsession de boiser le plateau de Millevaches est le fruit de la rencontre, en 1901, entre un ancien inspecteur des Eaux et Forêts et une société savante de Limoges, la société scientifique Gay-Lussac composée principalement de notables de Haute-Vienne, épris de progrès, de profit et de modernité.

L’invention de la forêt paysanne

Si le projet de reboiser le plateau n’est pas le fait de Marius Vazeilles, c’est lui qui inventera la méthode pour y parvenir. La société Gay-Lussac de l’Arbre et de l’Eau avait bien acheté et promu l’acquisition de parcelles par dizaines d’hectares dès avant la Première Guerre mondiale afin de mettre en œuvre son projet d’expérimenter des essences exotiques et, déjà, de célébrer les vertus du « pin de Douglas », mais son point de vue sur le plateau était encore un point de vue de grand propriétaire terrien.

Marius Vazeilles inventa l’idée de forêt paysanne. Ainsi, il adapta l’idée du reboisement à la situation nouvelle des paysans confrontés à la crise de leur équilibre traditionnel, dans l’espoir de mettre en place un équilibre nouveau. Les communaux seraient répartis équitablement entre les paysans de chaque hameau. Les parcelles les mieux exposées, les bruyères les plus accessibles seraient défrichées. De l’élevage ovin extensif, on passerait à l’élevage intensif du veau de lait, bien plus rentable.
Tandis que le piétinement et la fumure vont faire régresser la callune au profit de l’herbage, les pâturages s’amélioreront, et les landes les plus médiocres, les parcelles les plus éloignées seront plantées de résineux à l’automne, à leurs heures perdues, par les paysans restant, grâce à des plants gratuits fournis par l’Etat, le tout soutenu par des subventions. Ainsi, quarante ans plus tard, sans grand effort et pour l’avantage tant d’eux-mêmes que de la cause nationale du reboisement, les paysans disposeraient d’une somme rondelette pour s’équiper ou d’une retraite améliorée par la coupe des parcelles plantées plus tôt ; ils pourraient sinon les répartir entre leurs héritiers. C’est le système du « pré-bois » imaginé et réalisé par Vazeilles. La forêt est plantée par les habitants et leur appartient.

Ainsi, de 6 % en 1914, la forêt recouvre en 1930 16 % du plateau, 25 % en 1946 et 47 % en 1971. « Le reboisement paysan n’établit pas ainsi un massif forestier mais un “ état boisé ”, une forêt “ en timbre-poste”, mosaïque de parcelles d’âges différents, réparties entre une multitude de petits propriétaires. »

 
De la forêt paysanne à la plantation industrielle


Mais l’exode se poursuit, s’accentue même après la Seconde Guerre mondiale. Le veau de lait limousin, exigeant un grand savoir-faire et une grande quantité de travail, ne permet pas d’économies d’échelles et se voit concurrencé par une production nationale de moindre qualité, mais de prix nettement plus bas. Dans ces années-là, le passage forcé de l’élevage intensif de veau blanc à l’élevage extensif du broutard opère une sélection supplémentaire parmi les paysans, peu nombreux à disposer d’assez de terres et de capitaux pour engager cette conversion. Avec l’exode, la propriété forestière échappe définitivement aux habitants, pour se trouver de plus en plus entre les mains d’héritiers citadins. Avec la création, après-guerre, du Fonds forestier national, ces propriétaires vont profiter des aides de l’État pour planter massivement et revaloriser ainsi leur patrimoine foncier. Par ce processus, le reboisement devient de plus en plus l’œuvre des non-habitants. 

extrait de Rapport sur l’état de nos forêts et leurs devenirs possibles par des habitants du plateau de Millevaches – novembre 2013